Interview Exclusive : Tragédiens, vos papiers !

Publié le par Thom

Chers lecteurs, l'évènement est d'importance.

Le retour des Chroniques d'AG&B ayant secoué le landerneau webistique, nous avons cherché au sein de la rédaction quelque mise en bouche susceptible de marquer l'évènement avec efficacité et dignité.

Aussi, c'est avec joie que nous avons accédé à la requête de notre envoyé très spécial Guic' The Old : filer à Los Angeles à la veille de la diffusion du pilote de la saison 3 pour rencontrer rien moins que les trois scénaristes de la série, les Trois Ténors de la Tragédie... ou plutôt les deux ténors : Terry Sophocle et Brian Euripide (ou l'inverse) accompagné de leur nouvel accolyte : Kevin (dont le pseudo tragique est tenu top secret). Un jeune scénariste inspiré qui apportera, n'en doutons pas, du sang neuf à notre série favorite.

Egalement présent au moment de cette rencontre au sommet... Thorne Forrester ! Thorne lui-même, l'homme des thorneries, l'idole de toute une génération de lecteurs des Chroniques d'AG&B, Thorne qui a pris du galon et sera (n'ayons pas peur des mots) l'un des rouages essentiels de cette saison 3. On salive, pas vrai ?

Allez : laissons leur la parole sans plus attendre.



Entroducing...

Brian, Terry, Kevin, Thorne, bonjour.

Les trois scénaristes : Bonjour Guic' !
Thorne : Mes hommages.

Vous n'êtes pas sans savoir que les chroniques d'AG&B reprennent en France, pour une saison 3 : quel effet cela vous fait-il ?
 
Terry : Comme de retourner vivre chez sa femme après une longue période de séparation : nous nous sommes un peu laissés aller depuis deux ans et demi... maintenant va falloir sérieusement recommencer à se surveiller et à se tenir à carreau.
Brian : Finie la belle vie...
Kevin : Qui était pourtant plus belle.
Brian & Terry : AH AH AH !!! Quel blagueur, ce Kevin !

Envisagez-vous de glisser, de nouveau, des références subtiles à l'attention de votre chroniqueur français, maintenant qu'il a repris le travail ?

 
Brian : Vous savez, nous n'avons jamais cessé de le faire ces dernières années... nous savions très bien qu'il nous regardait à l'occasion, même s'il n'écrivait plus.
Terry : Peu après l'arrêt des Chroniques nous avons créé une intrigue où Thorne se révoltait contre sa famille... c'était un peu une bouteille à la mer, on espérait que Thom remettrait le couvert...
Brian : Moi je n'y croyais plus vraiment.

Tous nos lecteurs ont une pensée émue pour John…. Qu'est-il advenu de lui ?
 
Terry (après un silence) :
Une histoire assez triste... ça faisait déjà plusieurs années que John était dépressif. Il a fini par mettre fin à ses jours...

Kevin, comment avez-vous été recruté, et avez-vous décroché, contrairement à Billy un CDI ?

Brian : Bien sûr qu'il est en CDI ! Kevin est partie intégrante de l'équipe !
Terry : Tout à fait... le décès de John nous a fait mal, à titre personnel, amical, humain. A titre professionnel, ce n'est quand même pas comme si Clapton avait quitté Cream.
Kevin : Pour vous répondre, j'ai débuté ma carrière en tant qu'assistant sur Melrose Place. C'est là que j'ai rencontré Jack Wagner à la fin des années 90... quand John nous a quitté, il m'a suggéré aux producteurs pour le remplacer au pied levé. Ca commençait dur : au casting on m'a demandé d'écrire une scène de dichotomie...!
Brian : Il s'en est remarquablement sorti ! C'est vrai qu'il n'a pas trente ans, mais je crois sincèrement que Kevin représente l'avenir de la série (voire même l'avenir du soap en général).

Thorne… vous êtes le numéro 9 du nom. Est-ce difficile de rentrer dans ce rôle quasi… minéral ?


Thorne : A dire vrai, ce ne fut guère aisé. Thorne est une figure mythique, il ne fut pas simple, aux débuts, d'imprimer ma marque. Pourtant, à force de labeur, je crois avoir fait montre d'un talent certain...
Brian : Ce n'est pas par hasard s'il détient le record de longévité à ce poste...

Terry, Brian… L'utilisation d'acteurs pour jouer des plantes vertes est-il une référence volontaire aux Ents de l'œuvre de Tolkien ?

Terry : Ah tiens... c'est marrant, je n'y avais pas pensé...
Brian : En fait c'est un clin d'œil à Plantman, le super-méchant de la Marvel... mais je crois qu'il n'est pas très connu en France. 

Bien de choses ont changé en deux ans, temps pas AG&B : Pourriez vous nous résumer rapidement qui est parti, qui est revenu, qui est apparu puis reparti… S'il vous plait ?

Brian : Rapidement ? Elle est bien bonne celle-là !
Terry : Désolé... rapidement non, ça va pas être possible. Mais on peut en gros vous dire que les personnages suivants ont disparu définitivement de la série : Massimo, Deacon (connu en français sous le nom de Déconneur), Ozzy (connu en France sous le nom d'O.), Darla, Caitlin, Sam, Ambre (qui a rejoint l'équipe de nos amis des "Feux de l'Amour")... je suppose que Thom vous expliquera dans ses chroniques le pourquoi du comment de ces départs.


Shakespeare's sister
 

Terry, Brian, vous êtes diplômés de la prestigieuse Princeton academy of modern Tragedy… (Kevin, d'après ce que nous savons, sors de l'Université du Massachusetts. ) Vous êtes donc des défenseurs de la tragédie dite « à l'ancienne », ce qu'on appelle dans votre pays « The pre-Dallas Soap Tragedy » (PDST).

 
Terry : Oui, en effet
Brian : Oui, c'est exact
Kevin : Absolument.
Thorne : Certes.  

Permettez moi de recenser l'influence des grands tragédiens par devers les ages dans votre œuvre.
 
Terry : Quelle ambition !
Thorne : Vos lecteurs vous en sauront gré, à n'en point douter.

Tout d'abord la tragédie antique : vous lui devez l'art de la dichotomie en particulier, que vous manœuvrez à merveille. Cependant, pourquoi l'utiliser aussi souvent que dans un épisode sur deux minimum ?
 
Terry : Tout simplement parce que, contrairement à nos illustres ancêtres de l'antiquité, nous sommes tenus par certaines contraintes marketing, sans parler des contrats des acteurs stipulant qu'ils doivent apparaître régulièrement... par exemple Ron Moss (Ridge)... bon, eh bien Ron est un homme charmant, mais il ne rigole pas avec la production : s'il n'apparaît pas régulièrement nous risquons un procès - sinon une grève. Donc la dichotomie est une bonne manière de le faire intervenir même dans les intrigues où son personnage n'a rien à faire.

Vous manœuvrez également l'art du dialogue platonicien, surtout dans des scènes confrontant Deus Ex Machina et héros unineuronaux. Sauf que chez vous, le discours d'enseignement est inversé et vient du sophiste au philosophe : avez-vous conscience que vous remettez en cause toute la métaphysique antique ?

 
Brian : C'est le principal reproche que nous fait Alain Finkielkraut. Cependant soyons réalistes : on ne peut pas perpétuellement tenir compte des enseignements de l'antiquité. Il faut savoir les respecter sans pour autant leur être entièrement assujetti.
Terry : Si les Beatles avaient collé de trop près aux préceptes de Chuck Berry, Sgt Pepper's n'existerait pas. Et pourtant : les Beatles adoraient Chuck Berry au moins autant que je suis fan de Platon.

D'un point de vue philosophique, on peut également remarquer que l'aphorisme assassin est une marque de fabrique de la série… Peut on, en ce sens, considérer Thorne comme un héros nietzschéen ?

 
Thorne : Non point ! Le personnage que j'incarne s'inscrit à l'évidence dans une lignée platonicienne.
Terry : Absolument. C'est plutôt Ridge et, dans une moindre mesure, Bridget, qui méritent le titre de héros nietzschéens.

Faisons un saut vers le Moyen-Age : entre la résurrection de Taylor et la retraite de Brooke dans un couvent, l'hommage est manifeste aux Mystères religieux. La religion tient-elle une grande place dans votre œuvre ?
 
Brian : Personnellement, en tant qu'américain, je crois à l'importance du fait religieux dans nos sociétés.
Terry : Il est vrai qu'en France, vous découvrez seulement le concept de laïcité positive. Chez nous la question ne se pose même pas.
Kevin : Bref : tout artiste est le produit de la société où il s'épanouit. C'est d'autant plus vrai dans notre cas que Mike Huckabee co-produit la série.

Dignes héritiers de Shakespeare, vous avez un gout marqué, outre pour les scènes d'action On Stage, pour les amours impossibles, dont Roméo et Juliette sont la plus célèbre des incarnations. Certes, votre référence serait plutôt Pyrame et Thysbé : nous nous rappelons tous du parallèle évident que vous avez effectué entre le test de grossesse de Brooke, référence évidente au poignard (il en rougit, le traitre) fossoyeur d'amour du classique de l'Antiquité. Mais revenons en à la question : Un jour, la série s'arretera. Nick ou Ridge ? Qui sera, à votre avis formera avec Brooke un couple à la Roméo et Juliette, ensemble pour l'éternité ?

 
Kevin : Ridge !
Terry : Bien entendu. Vous êtes trop jeune pour vous en rappeler, mais dès le premier épisode (en 1987, NDLR) Ridge et Brooke étaient déchirés par un amour impossible (Ridge était marié avec Carolin). Puis Brooke épousa Thorne tout en aimant Ridge...
Brian : Ce sont eux les amants éternels. Nick, lui, n'est arrivé dans la série qu'il y a cinq ans.

La tragédie classique permettait dans une pièce, seulement une action, un lieu, un jour. Corneille explosa ces règles en multipliant les actions, les lieux les jours dans la même pièce. Vous avez suivi, du point de vue du temps, un cheminement inverse : un unique jour peut recouvrir de nombreux épisodes. Mais à l'inverse, l'absence d'action est exagérément courte. Un vol de 10 h en avion dure 5 épisodes, tandis qu'une grossesse dure 4 mois. Comment avez-vous eu l'idée de ce temps spécial, extensible, ce temps que ni les plus fins analystes littéraires, ni les physiciens les plus pointus ne sont capables d'expliquer ? (Cette question nous a été proposée par Igor et Grishka B., qui ont longtemps été diffusés juste après la série en France.)


Brian : Terry ?
Terry : Oui... c'est vrai qu'à l'époque tu ne nous avais pas encore rejoints... en fait c'est une idée que John et moi avons eu en 1984, alors que nous bossions sur les "Feux de l'amour". A une fête organisée par la production John a gobé un ectsa et... enfin, vous savez, à l'époque c'était une drogue qu'on ne connaissait pas très bien... on nous avait dit que c'était sans risques. Bref : complètement défoncé John a émis l'hypothèse de jouer avec le temps afin de rendre notre série intemporelle. C'était une excellente idée. Le concept s'est affiné seulement un ou deux ans après, lorsqu'on est tombé d'accord pour dire qu'en gros, cinq épisodes étaient égaux à une journée, ce qui faisait qu'une semaine nous faisait vingt quatre heures, et ainsi de suite... lorsque nous avons été recrutés pour AG&B nous avons gardé peu ou prou le même principe en nous autorisant à accélérer le temps en fonction des attentes du spectateur. La règle est simple : ce qu'il attend avec impatience arrive très lentement ; ce qu'il n'attend pas surgit sans crier gare.
Kevin : Mais attention : la clé ce n'est pas de compter en temps "réel" (ou "temps temporel") mais en "temps de diffusion". L'action continue pendant le week-end.
Brian : En cela nous préfigurions dès le début des années 90 les séries de type 24 Heures Chrono.

Pour conclure sur cette analyse référencielle, je ne peux m'empécher de remarquer l'absence presque totale de références au théatre comique. Point de Molière, de Feydeau, de Guitry... pourtant tous les dialogues de Ridge semblent direstement issus de Ionesco. Comment interpréteriez vous cette asence totale de gout pour le comique mélée à une fascination pour l'absurde?
 

Brian : Il nous arrive d'en glisser, mais c'est vrai que c'est assez rare.
Terry : Le théâtre comique vous savez c'est très français.
Brian : Enfin nous faisons des efforts, tout de même.
Terry : C'est à dire qu'en fait... l'ultra-premier degré dans lequel nous évoluons est comique malgré lui... n'est-ce pas encore mieux ?
Brian : C'est un peu comme un rire nerveux, si vous voulez...


Mummy's alright, Daddy's alright
 
Une autre caste à qui AG&B échappe totalement, c'est celle des généalogistes et des avocats. Au point qu'en France certaines facultés de Droit ont délégué leurs meilleurs chercheurs pour répondre à cette question : si Brooke meurt, qui hérite de la chambre de Brooke ? De même les biologistes ne parviennent pas à comprendre comment les enfants nouveaux nés Forrester parviennent à éviter hémophilie et crétinisme dus à la consanguinité. Comment faites-vous, vous pour vous y retrouver tout en restant crédibles ?


(rire général)
Terry : On ne s'y retrouve pas !
Kevin : Et nous ne sommes que très rarement crédibles.
Brian : Ou alors sans faire exprès.
Terry : Mais ne nous demandez pas combien de fois Brooke a été mariée !
Brian : Nous essayons de garder une cohérence, mais impossible de se rappeler de toutes les intrigues que nous avons créées en 21 ans...

Vous avez en effet raison, la crédibilité de l'histoire est mise à mal vu que des parents ne font même pas attention quand leur enfant change 4 fois. D'ailleurs, avez-vous une explication à nous donner quant au fait que les rôles qui font la plus grande consommation d'acteurs sont ceux de Thorne et  de Bridget ??


Terry : Vous avez déjà essayé d'énoncer une thornerie sans avoir l'air ridicule, vous ? Seul un grand acteur peut faire une chose pareille...
Thorne : Oh... Terry... vous exagérez...
Brian : Pour Bridget c'est le syndrome du Championnat de France : on forme des jeunes premiers très doués, et les autres séries nous les piquent car on n'a pas les moyens de les garder chez nous.
Kevin : Il nous est arrivé pareil l'an passé avec Thomas Forrester...

Remarquons tant que nous y sommes que s'il y a bien un mot qui sonne comme une injure aux oreilles des fans, c'est bien celui-ci: crédibilité. D'aucun préfèrerons une vraie, belle, grande licence poétique. Que nous réservera la troisième saison de ce côté ci ? Quelle entorse à la réalité pouvez vous encore nous proposer? Après avoir ressucité des morts non morts mais quand même fantomisés... Jusqu"ou peut on aller trop loin?


Brian : De ce point de vue nous n'avons quasiment aucune limite.
Terry : Mais contrairement à ce que vous avez l'air de penser nous ne tuons pas si souvent les personnages... justement pour nous garder une porte sortie, pour les faires revenir.
Brian : Pour la troisième saison des Chroniques en France nous vous mitonons un truc complètement... surréaliste, mais je ne trahirai pas le suspens.
Kevin : Sachez juste que Thorne va avoir une nouvelle copine...

Et sur ces mots plein de sagesses ancestrale, je propose, chers amis, que nous nous quittions. Bonne route. Continuez à nous surprendre. Et, évidement, merci.

...

Publié dans Bonus du DVD

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T
Ah oui et puis les études de scénariste, c'est pas rien, crois-moi :-)
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C
Très bel entretien, bien mené et qui met en appétit pour la suite. Je suis un peu triste pour John, je l'aimais bien. Mais Kevin a l'air sympathique et très compétent aussi. Il a fait des études ça se voit parce qu'il sait ce qu'est une dichotomie. Affaire à suivre donc.
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T
Lily >>> moui... alors je ne sais pas trop pourquoi, mais je ne suis pas convaincu que Bridget soit d'une grande utilité en la matière...Guic' >>>ne te réjouis pas... tu risques de devenir un personnage :-)Zaph >>> d'autant que Deacon, selon nos infos, n'est pas mort, il est juste parti (persuadé d'être redevenu alcoolique et d'être nocif pour Jackie... sa maîtresse...)
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Z
Excellente interview, Guic ! Très éclairante.<br /> Je trouve que je jeune Kevin a de l'avenir ; à mon avis, c'est un sérieux atout pour la série !<br /> Je suis toutefois très attristé par la disparition de Deacon. Un dialogue Thorne / Deacon, c'était quand-même le sommet de l'art. Mais qui sait, une résurrection n'est jamais impossible !<br /> :o)
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G
C'est la fete, cette fois ci je fais l'interview en tant que moi même!!!<br /> (Cette agréable surprise passée, je m'en vais maintenant lire.)
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